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Les établissements stables du point de vue des contributions directes - Quelques points d’attention et tendances actuelles

Thalia Stinissen
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Thalia Stinissen
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Lorsqu’une entreprise belge se tourne vers l’étranger en vue d’étendre ses activités, l’analyse de la problématique de l’éventuel établissement stable n’est sans doute pas la priorité première. Il n’est pourtant pas inutile de s’y intéresser et de garder quelques points d’attention à l’esprit. En effet, à l’heure actuelle, tant l’administration fiscale belge que celle d’autres pays recherchent plus activement les établissements stables présents sur leur territoire en se basant sur divers facteurs, comme un numéro de TVA, un payroll, des immeubles, etc. La problématique concerne par ailleurs non seulement les sociétés, mais aussi les entreprises individuelles qui peuvent elles aussi avoir un établissement stable à l’étranger. 

Pour rappel : importance de la notion d’‘établissement stable’ 

En Belgique, une entreprise belge paie des impôts sur les revenus sur ses résultats mondiaux, y compris sur le résultat qu’elle réalise à l’étranger. D’autres pays peuvent toutefois aussi percevoir des impôts sur le revenu réalisé sur leur territoire. Si les deux pays ont conclu une convention préventive de la double imposition, cette convention dispose généralement que le deuxième pays ne peut imposer les revenus que si l’entreprise belge dispose d'un ‘établissement stable’ sur son territoire. La Belgique doit alors exonérer le résultat de l’établissement stable qui a déjà été imposé à l’étranger. On évite ainsi la double imposition. 

Cela signifie qu’un établissement stable à l’étranger peut aussi bien être une opportunité qu'un risque :

  • Lorsqu’une entreprise belge dispose d'un établissement stable dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive de la double imposition qui applique un taux d'imposition inférieur à la Belgique, elle peut soumettre la partie de son résultat qui est attribuable à l’établissement stable à ce taux réduit et l’exonérer dans sa déclaration belge. 
  • Si, par contre, une entreprise belge dispose d'un établissement stable à l’étranger, mais qu’elle ne déclare pas le bénéfice attribuable à cet établissement dans le pays de l’établissement stable, il y a un risque qu’à un moment donné, ce pays perçoive l’arriéré d'impôts. Puisque ce résultat a déjà été imposé en Belgique, il peut en résulter une double imposition. S'il s’agit d'un pays avec lequel la Belgique n’a conclu aucune convention préventive de la double imposition, il n’existe aucune protection contre la double imposition. Même s’il existe une convention préventive de la double imposition, l’entreprise s’expose malgré tout à des procédures potentiellement longues et complexes pour obtenir l’annulation de la double imposition. 

Et même s’il n’y a pas d’établissement stable en vertu de la convention préventive de la double imposition applicable ou si aucune convention préventive de la double imposition ne s’applique, les activités à l’étranger peuvent s'accompagner de certaines obligations fiscales. La législation locale peut en effet appliquer une définition plus stricte et exiger, par exemple, qu'une déclaration (néant) soit introduite chaque année.  

Le bénéfice attribuable à l’établissement stable est déterminé en considérant ce dernier comme une entreprise indépendante avec laquelle la société principale entretient des relations commerciales. 

Dans quels cas est-il question d'un établissement stable ? 

L’analyse de l’existence éventuelle d'un établissement stable se fait toujours sur la base de la convention préventive de la double imposition applicable. Heureusement, la plupart des conventions appliquent plus ou moins la même définition, laquelle est basée sur le Modèle de convention publié par l’OCDE. 

Pour les contributions directes, on se base sur les emplacements ou personnes à l’étranger.  

Emplacements : établissement stable matériel  

Un établissement stable matériel est un emplacement physique via lequel l’entreprise exerce ses activités. Il peut s’agir d'un bureau, d'une usine, d'une maison, d'un pipeline, d'une éolienne, etc. Il suffit d’un espace déterminé avec une certaine permanence temporelle et géographique. L’emplacement doit être à la disposition de l’entreprise, mais cela ne veut pas dire que l’entreprise doit en être propriétaire ou locataire. Il peut également s’agir, par exemple, d'une petite échoppe sur un marché ou d’un bureau dans l’immeuble d’une société étrangère du groupe. Il n’est pas non plus nécessaire qu’il y ait du personnel présent sur l’emplacement si ce n’est pas nécessaire à l’exercice des activités.  

Personnes : établissement stable personnel

Un établissement stable personnel naît d'une personne qui agit pour le compte de l’entreprise, qui a la compétence de conclure des contrats en son nom et qui exerce habituellement cette compétence. Il peut s’agir d'un employé, d'un administrateur, d'une société du groupe ou d'un tiers (sauf s’il s’agit d'un représentant indépendant). 

Pour ce type d’établissement stable, il n’est pas nécessaire que l’entreprise dispose d'un emplacement physique à l’étranger. Un commercial qui vit en Belgique mais qui est actif en dehors des frontières du pays peut donc former un établissement stable. 

Tendances actuelles et cas spéciaux

Convention multilatérale de l’OCDE

Comme nous l’avons indiqué, la plupart des conventions préventives de la double imposition appliquent une définition comparable qui est basée sur le Modèle de convention de l’OCDE. Une Convention multilatérale a été conclue en 2017 dans le cadre des initiatives de l’OCDE contre le transfert de bénéfices entre entreprises (le plan d’action ‘BEPS’), qui modifie notamment la définition d’établissement stable. Dès que deux pays l’ont ratifiée (ce qui est déjà le cas de la Belgique), cela modifie directement la convention préventive de la double imposition qui existe déjà entre les deux pays.  

Établissement stable personnel

Les modifications apportées à la définition d'établissement stable impliquent notamment qu’il suffit pour qu'il soit question d'un établissement stable personnel que la personne joue habituellement un rôle important dans la conclusion de contrats qui sont ensuite conclus sans modifications importantes par l’entreprise (‘prééminence du fond sur la forme’). Les modifications apportées à la définition visent également à lutter contre les abus par le biais d’‘accords de commissionnaire’. Il s’ensuit que dans certains cas, même des services fournis par des agents indépendants voire par des sociétés du groupe peuvent donner lieu à l’existence d'un établissement stable imposable.

Exceptions 

Selon la définition de la convention de l’OCDE, les activités préparatoires ou auxiliaires exécutées dans un pays ne donnent pas lieu, dans certains cas, à un établissement stable. Il s’agit d’activités qui n'ont qu'une valeur ajoutée limitée et/ou auxquelles il est très difficile d’attribuer un bénéfice. Le stock détenu dans un pays à des fins de stockage et de livraison ou de transformation par une autre entreprise ne constitue souvent pas un établissement stable, par exemple. 

Sur ce point aussi, la Convention multilatérale de l’OCDE apporte des modifications. Toutes les activités complémentaires de l’entreprise et des entités étroitement liées dans le même pays devront désormais être examinées ensemble. Si ces activités ne peuvent plus être considérées dans leur ensemble comme des activités préparatoires ou auxiliaires, il peut être question d'un établissement stable.  

Travaux de construction et installations

Un chantier de construction ou de montage constitue un établissement stable lorsque le projet dure plus de quelques mois. Cela inclut également la rénovation, l’installation de nouveau matériel, la surveillance, etc. Le Modèle de convention de l’OCDE propose un délai de 12 mois, mais de nombreuses conventions préventives de la double imposition y dérogent. Le temps consacré par les sous-traitants est ajouté au temps de l’entrepreneur principal.

Comme le délai fixe a donné lieu à des abus dans la pratique, la dernière version du commentaire de l’OCDE annexé au Modèle de convention recommande d’appliquer une disposition anti-abus, par exemple, une disposition qui refuse l’octroi des avantages prévus par la convention lorsque leur obtention constituait le principal objectif d'une construction ou une disposition spécifique visant à lutter contre la scission de contrats, telle celle appliquée par la Belgique, par exemple.  

Bureau à domicile comme établissement stable 

La question de savoir si le bureau à domicile d'un travailleur qui vit à l’étranger peut constituer un établissement stable n’est pas nouvelle, mais elle est redevenue d'actualité pendant et après la pandémie de coronavirus. Il s’agit en l’occurrence spécifiquement d'un établissement stable matériel. Un travailleur étranger peut évidemment toujours former un établissement stable personnel si les conditions requises à cet effet sont réunies. 

Le bureau à domicile depuis lequel un travailleur travaille régulièrement est un établissement de l’entreprise via lequel les activités professionnelles de l’entreprise sont exercées. La discussion tournera également autour de la question de savoir si le bureau à domicile est à la disposition de l’employeur. Pour le déterminer, la commission de ruling examine entre autres le contrat de travail du travailleur, sa possibilité de déménager sans concertation préalable, la mise à disposition d'un bureau par l’employeur, l’octroi d'une indemnité de télétravail, etc. 

Spécifiquement dans le cadre de la pandémie de coronavirus, l’OCDE a toutefois confirmé que le travail à domicile en conséquence de la pandémie ne donnera généralement pas lieu à un établissement stable. Il s’agit d'une situation exceptionnelle où le travail à domicile est imposé ou recommandé par les autorités publiques et n’est pas une exigence de l’employeur. 

E-commerce

La croissance du commerce électronique soulève diverses nouvelles questions fiscales, entre autres concernant les établissements stables. 

Un site web, par exemple, peut-il être un établissement stable ? Selon le commentaire de l’OCDE, un site web, c’est-à-dire la combinaison d'un logiciel et de données, n’est pas un bien tangible ayant un emplacement. En principe, iIl ne peut donc en principe pas être un établissement stable de l’entreprise. 

Le serveur sur lequel ce site web est hébergé, par exemple, peut l’être. Il s’agit d’un établissement de l’entreprise via lequel l’entreprise exerce ses activités. La question suivante à laquelle il convient de répondre est de savoir si l’emplacement est à la disposition de l’entreprise, ce qui requiert une analyse des faits. 

Conclusion 

La notion d’‘établissement stable’ fait depuis longtemps partie de la manière dont les droits d’imposition sont répartis entre les pays et est par conséquent l’objet de planification fiscale depuis longtemps. L’OCDE s'efforce d’y mettre un terme via l’initiative BEPS et la Convention multilatérale. Les nouvelles évolutions dans l’organisation des activités des entreprises et aussi dans notre manière de travailler requièrent par ailleurs des adaptations de la définition de cette notion. D’autres modifications suivront évidemment.