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La route de la bière : une alternative à part entière à la route du fromage ?

Kristof Wuyts
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Kristof Wuyts
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Avant le 15 décembre 2020, c’était une pratique courante : faire une donation d’actions, d’argent ou d’autres biens mobiliers devant un notaire néerlandais. C’est ce qu’on appelait la ‘route du fromage’. Donateur(s) et donataire(s) pouvaient faire une donation, ils disposaient d’un acte notarié prouvant définitivement cette donation et – enfin et surtout – celle-ci n’était pas soumise à l’obligation d’enregistrement en Belgique, ce qui permettait d’éviter les droits de donation. Autrement dit, ‘le beurre et l’argent du beurre’… Depuis le 15 décembre 2020, toutefois, les actes de donation passés à l’étranger doivent également être enregistrés en Belgique ; à compter de cette date, des droits de donation sont donc dus en Belgique sur les donations effectuées devant un notaire néerlandais. 

Une alternative à cette route du fromage émerge désormais de la pratique : la ‘route de la bière’. Nous vous exposons ici les modalités de cette nouvelle technique de donation et les éléments à prendre en compte.  

Suppression de la route du fromage

Commençons par quelques explications supplémentaires sur la route du fromage. Le Code civil dispose depuis toujours qu’une donation est un acte juridique solennel qui requiert dès lors l’intervention d’un notaire. Le Code civil n’exige cependant pas que l’acte de donation soit reçu par un notaire belge. Une donation peut donc valablement se faire devant un notaire étranger. Les actes dressés par des notaires étrangers n’étant pas soumis à l’enregistrement en Belgique, les droits de donation ne devaient pas être payés en Belgique sur les donations faites devant un notaire étranger. Dans la pratique, il arrivait souvent que le donateur décide de faire appel à un notaire néerlandais. 

Une petite expédition dans la région frontalière pouvait donc être synonyme de bel avantage fiscal : une donation mobilière avec acte de donation notarié sans devoir payer de droits de donation. Seul revers de la médaille : en cas de décès du donateur dans les trois ans de la donation (ou dans les sept ans s’il s’agissait de la donation d’actions d’une société familiale)[1], des droits de succession étaient encore dus, à moins qu’entre-temps, la donation n’ait été enregistrée en Belgique et que des droits de donation aient donc tout de même été payés.

La loi du 3 décembre 2020 a définitivement fermé cette route du fromage à compter du 15 décembre 2020. Depuis lors, une obligation d’enregistrement en Belgique s’applique également aux actes de donation notariés passés à l’étranger et les droits de donation sont donc dus. 

Donation indirecte

Malgré le caractère solennel d’une donation, il est généralement admis que les donations peuvent se faire de manière indirecte. L’exemple le plus connu de donation indirecte est le don bancaire : un acte juridique neutre est posé dans l’intention de faire un don (virement bancaire du compte du donateur vers celui du donataire), ce qui constitue indirectement une donation. Pour de telles donations indirectes, il n’est pas obligatoire de faire appel à un notaire. 

De même, en l’absence d’enregistrement, ces donations ne sont pas soumises aux droits de donation au moment où elles ont lieu, mais elles font courir un délai de trois ans au cours duquel les droits de succession sont dus si le donateur vient à décéder[2]. Lors d’une donation indirecte, il est donc vivement recommandé dans la pratique d’établir les documents de preuve nécessaires. Ces documents de preuve permettent d’enregistrer ultérieurement la donation indirecte auprès du fisc belge (par exemple, en cas de maladie du donateur dans le délai de trois ans qui s’applique pour les droits de succession) et ils permettent en outre de prouver les modalités que le donateur a voulu associer à cette donation. Ces modalités peuvent être définies dans ce que l’on appelle le pacte adjoint. 

Beaucoup de zones d’ombre subsistent concernant la possibilité de céder des actions d’une société au moyen d’une donation indirecte. Dans un souci de sécurité, la donation d’actions d’une société se fera donc toujours devant un notaire avec application des droits de donation. Cela vaut aussi pour la donation de parts d’une société simple, mais c’est précisément cette société simple qui semble ouvrir la porte à une nouvelle technique de donation indirecte, baptisée la 'Route de la bière'. 

Principe de la route de la bière

À première vue, le principe de la route de la bière est simple : les donateurs procèdent à un apport de patrimoine dont ils souhaitent faire donation dans une société simple, mais ils ne reçoivent pas de parts de cette société simple en échange. La société simple émet toutefois les parts directement au profit des donataires. Étant donné que la société simple peut être constituée sous seing privé et que les apports ultérieurs peuvent aussi se faire sous seing privé, ces opérations ne nécessitent pas de notaire. Le privilège dont bénéficient ainsi les donataires pourrait être considéré comme une donation indirecte, pour laquelle l’intervention d’un notaire ne serait donc pas requise et les droits de donation ne seraient pas dus. Il va de soi que le délai de trois ans pour l’impôt de succession reste d’application.

Une alternative consiste à ce que les donateurs fassent un apport dans une société simple dont les donataires sont déjà actionnaires. La société simple n’émet pas de nouvelles actions en échange de cet apport, ce qui augmente la valeur des actions que détiennent déjà les donataires.

Un 'pacte adjoint' peut être conclu entre donateur et donataire afin de parfaitement documenter cette donation indirecte. 

Qu’en pense l’Administration fiscale flamande ?

Entre-temps, cette nouvelle technique de donation a déjà été soumise à plusieurs reprises à l’Administration fiscale flamande (‘VLABEL’). Il a été demandé à VLABEL si cette technique de donation avait effectivement pour conséquence d’ouvrir un délai de trois ans, de sorte qu’en cas de décès du donateur dans ce délai, l’impôt de succession serait dû. Jusqu’à présent, VLABEL a chaque fois répondu à cette question par l’affirmative. VLABEL a clairement précisé que ‘dans la mesure où l’apport en nature […] avec octroi de parts de la société simple aux enfants constitue une donation, cette donation tombe dans le champ d’application de l’article 2.7.1.0.5. du CFF (la période suspecte de trois ans pour l’impôt de succession)’. 

En revanche, VLABEL ne s’est pas encore prononcée dans ses décisions anticipées sur l’application ou la non-application de l’impôt de donation sur cette nouvelle technique de donation. Il s’agit pourtant d’un élément crucial. Dans la pratique, VLABEL donne une interprétation très large de la disposition générale anti-abus, d’où la question de savoir si l’application de la route de la bière ne se ferait pas au détriment de l’impôt de donation… 

Toujours dans ses décisions anticipées, VLABEL ne s’est pas prononcée non plus sur la validité en droit civil de cette technique de donation indirecte. Autrement dit, si l’application de la route de la bière ne donne pas lieu à une donation indirecte sur le plan du droit civil, les conclusions que tire VLABEL dans ses décisions anticipées reposent sur des bases fragiles.

La prudence est donc de mise, car les conséquences fiscales de la route de la bière ne sont pas encore (tout à fait) clarifiées.

Conclusion

La route de la bière se présente comme un outil possible de planification : il permet, en recourant à une société simple, de donner des parts de société de manière indirecte, sans application de l’impôt de donation. Cette donation indirecte est soumise, le cas échéant, au délai de trois ans spécifique à l’impôt de succession.

Bien que l’Administration fiscale flamande se soit déjà prononcée positivement sur les conséquences fiscales de cette technique, le contrôle exercé par VLABEL semble à première vue très limité. Il en résulte un manque de clarté quant au traitement précis de la route de la bière sur le plan à la fois de l’impôt de donation et de l’impôt de succession

Il est donc important de faire preuve de prudence et d’être bien épaulé dans cette matière. Vous avez des questions sur les différentes possibilités de faire une donation de patrimoine tout en conservant le contrôle nécessaire ? Nous vous recommandons dans ce cas de cartographier précisément toutes les possibilités et de ne pas limiter vos recherches à la route de la bière décrite ci-dessus. Vos souhaits spécifiques et votre situation concrète détermineront si la route de la bière peut vous offrir une alternative à part entière à la route du fromage. 

L’équipe Private Client Services de Grant Thornton est à votre service pour vous guider dans cette matière complexe. 

En savoir plus ? N’hésitez pas à contacter votre conseiller Grant Thornton.

 

 

[1] En Région wallonne, ce délai de trois ans pour les donations est porté à cinq ans à partir du 1er janvier 2022.

[2] En Région wallonne, ce délai de trois ans pour les donations est porté à cinq ans à partir du 1er janvier 2022.

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