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Télétravail transfrontalier Pays-Bas-Belgique et notion d’‘établissement stable’ : une analyse approfondie

By:
Dooitze Dijkstra,
Bart Verstuyft
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La tendance au télétravail progresse et entraîne des conséquences fiscales considérables. Dans la convention fiscale liant les Pays-Bas et la Belgique, les deux pays sont récemment parvenus à un accord sur l’interprétation de la notion d’"établissement stable". Cet accord doit aider les employeurs à déterminer si et dans quelles circonstances le travail à domicile peut être considéré comme un établissement stable.
Contents

Définition de l’établissement stable

La convention fiscale conclue entre les Pays-Bas et la Belgique définit l’établissement stable comme une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité. Cette définition correspond à celle donnée dans le Modèle de Convention de l’OCDE et doit servir de point de départ pour éventuellement qualifier un lieu de travail à domicile en établissement stable. Pour une analyse détaillée de la définition donnée dans la convention liant les Pays-Bas et la Belgique, nous vous renvoyons à notre article publié précédemment. 

Le télétravail selon différents scénarios

Le nouvel accord différencie plusieurs situations de télétravail, notamment :

  • Le télétravail occasionnel

Dans le cas du télétravail occasionnel, les travailleurs travaillent à domicile de manière irrégulière ou juste de temps en temps et le lieu de travail à domicile n’est pas considéré comme un lieu de travail mis à la disposition de l’employeur. Dans cette situation, il n’est donc pas question d’établissement stable.

  • Le télétravail structurel avec possibilité de travailler “sur site”

Dans le cas d’un télétravail structurel, les travailleurs font régulièrement du télétravail, tout en ayant la possibilité de travailler sur le lieu de travail de l’employeur, et le lieu de travail à domicile n’est généralement pas considéré comme un lieu à la disposition de l’employeur. La situation est différente, en revanche, si l’employeur exige explicitement que le travailleur fasse du télétravail et que son lieu de travail à domicile est effectivement utilisé pour les activités de l’entreprise. Dans ce cas, le lieu de travail à domicile peut être considéré comme un établissement stable.   

  • Le télétravail structurel et obligatoire

Lorsque le travailleur a l’obligation de faire du télétravail, le lieu de travail à domicile peut être considéré comme un lieu mis à la disposition de l’employeur. Cette situation peut aussi donner lieu à une qualification en établissement stable.

Question factuelle

La question de savoir s’il s’agit réellement d’un établissement stable est une question factuelle à laquelle il convient de répondre en déterminant si l’employeur a le pouvoir effectif d’utiliser le lieu de travail, si l’employeur peut décider effectivement dans quelle mesure l’entreprise est présente sur ce lieu et si l’employeur peut spécifier les activités qui y sont exercées.

Directives pratiques de l’accord

Après avoir décrit les situations précitées, l’accord donne des directives pratiques. Il explique, par exemple, que si un travailleur preste 50% ou moins de son temps de travail à domicile sur une période d’un an, ce lieu n’est pas qualifié d’établissement stable. 

L’accord précise ensuite que si les activités exercées sur le lieu de travail à domicile ont un caractère préparatoire ou auxiliaire, la situation ne donne pas lieu à un établissement stable. Citons, à titre d’exemples, les activités de secrétariat, de soutien informatique ou de ressources humaines exercées en appui des activités de l’entreprise. 

Notons également que l’accord concerne uniquement la qualification en établissement stable ‘matériel’ et donc pas ce que l’on appelle un établissement stable ‘personnel’. Comme déjà explicité dans notre précédente contribution de cette série d’articles, il peut encore être question d’un établissement stable imposable dans le cas d’un représentant qui a le pouvoir de négocier (et/ou de conclure) des contrats, même si ce représentant travaille moins de 50% à domicile.

Effets sur les employeurs et les travailleurs

L’accord conclu entre les Pays-Bas et la Belgique a des effets directs sur les employeurs et les travailleurs qui sont concernés par un télétravail transfrontalier. Si un lieu de travail à domicile est considéré comme un établissement stable, cette qualification peut engendrer des obligations fiscales pour l’employeur dans le pays où cet établissement stable se situe. Il est donc essentiel tant pour les employeurs que pour les travailleurs d’être conscients des implications fiscales éventuelles du télétravail transfrontalier.

On regrettera dès lors que l’accord porte uniquement sur la qualification en établissement stable. En effet, l’accord n’a en principe pas d’incidence sur la fiscalité des travailleurs : s’ils travaillent à domicile pour un employeur établi dans l’autre pays, ils sont (et restent) imposables dans leur pays d’origine. 

La forte augmentation du télétravail (transfrontalier) avait suscité une attente généralisée pour que la nouvelle convention préventive de la double imposition prévoie un régime de télétravail permettant aux travailleurs de travailler un certain nombre de jours par an à domicile sans incidence sur le pouvoir d’imposition, mais cette attente n’a pas été satisfaite. Une réglementation de ce type existe pourtant entre la Belgique et le Luxembourg, par exemple : elle permet aux travailleurs de travailler jusqu’à 34 jours maximum à domicile, sans conséquences fiscales. Il faudra donc encore un peu de patience avant de disposer d’une telle réglementation entre la Belgique et les Pays-Bas.

Nouvel accord-cadre UE concernant la sécurité sociale des travailleurs transfrontaliers
En plus de la nouvelle convention préventive de la double imposition entre les Pays-Bas et la Belgique, un nouvel accord-cadre UE a été introduit concernant la sécurité sociale des travailleurs transfrontaliers qui travaillent régulièrement depuis leur domicile. Cet accord, qui est entré en vigueur le 1er juillet 2023, a pour objectif de s’attaquer aux défis que posent les modèles de travail hybrides dans le domaine de la sécurité sociale. Il apporte des précisions tant aux employeurs qu’aux travailleurs sur la législation à appliquer en matière de sécurité sociale.

En vertu de cet accord, les travailleurs qui font régulièrement du télétravail peuvent passer jusqu’à 50% de leur temps de travail à domicile dans leur pays de résidence sans impact sur la législation à laquelle ils sont soumis en matière de sécurité sociale. L’accord exige en outre que le travailleur passe physiquement 50% de son temps de travail au moins dans le pays de l’employeur. Les employeurs et les travailleurs peuvent introduire une demande conjointe auprès des autorités du pays dans lequel est établi l’employeur pour se voir appliquer cette réglementation.

Rapport sur les régimes de télétravail des travailleurs transfrontaliers

Il est intéressant de signaler à ce sujet la publication récente d’un rapport intitulé "Thuiswerkregelingen voor grensarbeiders”. Ce rapport analyse les effets (sur les revenus) des régimes de télétravail que prévoient les conventions fiscales signées entre les Pays-Bas et la Belgique (et entre les Pays-Bas et l’Allemagne). Il ressort de ce rapport que les régimes de travail à domicile sont généralement moins avantageux en matière de revenus nets pour les travailleurs transfrontaliers qui travaillent sous une forme hybride. Le rapport souligne également que le système de sécurité sociale applicable peut avoir une influence significative sur les revenus nets selon que la législation en matière de sécurité sociale appliquée est celle du pays de résidence ou du pays où l’on travaille.

Il démontre ensuite que l’imposition s’opère conformément aux accords pris dans les conventions fiscales, lesquels prévoient qu’en l’absence de régime de télétravail, le droit de perception est réparti proportionnellement entre les deux pays (ce que l’on appelle le ‘salary split’). Cette répartition a généralement un effet avantageux sur les revenus nets du travailleur transfrontalier sous l’effet éventuel de la réserve de progressivité. Spécifiquement, un ‘salary split’ ne présente pas d’avantage si un seuil s’applique avec maintien de l’imposition dans le pays de l’employeur.

Un 'salary split’ peut donc être avantageux dans de nombreux cas, mais il engendre aussi son lot de tracasseries administratives pour l’employeur et/ou le travailleur. Il faudra, par exemple, démarrer une administration des salaires dans les différents pays pour la retenue et le versement des cotisations patronales et des travailleurs, remplir des déclarations fiscales distinctes par pays, etc.

Conclusion

Confrontés à l’augmentation du télétravail, les Pays-Bas et la Belgique ont convenu dans quels cas des lieux de travail à domicile pouvaient être qualifiés d’'établissements stables' en vertu de leur convention fiscale. Cet accord fait donc la clarté sur le statut fiscal des différentes situations de télétravail et sur leurs conséquences. Un nouvel accord-cadre UE prévoit en outre des règles concernant la sécurité sociale des travailleurs transfrontaliers qui font régulièrement du télétravail. Les employeurs et les travailleurs sont encouragés à demander conseil auprès de professionnels afin de respecter correctement leurs obligations fiscales dans les deux pays.

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