legal

Numérisation du droit des sociétés

Ellen Van Ingelgem
By:
Ellen Van Ingelgem
insight featured image
Ces dernières années, le droit belge des sociétés a lui aussi subi l’influence de la numérisation, quoique de manière limitée. Dans le présent article, nous passerons rapidement en revue quelques exemples de cette numérisation ainsi que les avantages qu’ils offrent dans la pratique.
Contents

Constitution numérique de sociétés

Il est désormais possible de constituer des sociétés et des associations de manière totalement numérique. Pour cela, il est nécessaire d’utiliser la plateforme numérique “JustAct” sur Just-on-web, qui a remplacé le site web eGreffe, devenu obsolète. L’objectif de “JustAct” est de réduire les formalités administratives liées à la constitution d’une société ou d’une association.

Une constitution numérique est uniquement possible pour les formes légales pour lesquelles un acte authentique n’est pas exigé. C’est le cas pour la constitution d’une société en commandite (Scom), d’une société en nom collectif (SNC), d’un groupement européen d’intérêt économique (GEIE) et d’une association sans but lucratif (ASBL). 

Pour la constitution d’une société à responsabilité limitée (SRL), d’une société anonyme (SA), d’une société coopérative (SC), d’une association internationale sans but lucratif (AISBL), d’une fondation privée (FP) ou d’utilité publique (FUP), [SY1] l’intervention d’un notaire est toujours requise. Une constitution entièrement numérique est donc encore impossible pour ces formes juridiques.

“JustAct” est accessible à tous et propose un plan par étapes clair et simple à suivre. Les sociétés et associations peuvent donc être constituées plus efficacement, plus rapidement et à moindres frais. Dans une prochaine phase, il sera aussi possible de créer des succursales, de modifier des statuts ainsi que de révoquer et nommer des administrateurs via cette plateforme. Cette dernière possibilité, en particulier, sera accueillie chaleureusement dans la pratique (voir ci-dessous).

Base de données des statuts

La création de la base de données des statuts Stapor de la Fédération du Notariat constitue une autre étape importante du processus de numérisation du dossier de la société. Depuis le 1er mai 2019, il est possible via cette base de données de consulter les statuts des personnes morales constituées à partir du 1er mai 2019 ou qui ont introduit une modification des statuts devant un notaire belge après cette date. 

Pour les personnes morales constituées avant cette date qui n’auraient pas encore adapté leurs statuts au Code des sociétés et des associations (ce qui aurait dû être fait pour le 31 décembre 2023 au plus tard), les statuts doivent encore être consultés au greffe du tribunal d’entreprise du lieu où la personne morale a son siège.

Base de données des mandats

Depuis le 1er août 2021, toutes les clauses statutaires de représentation des personnes morales découlant d’actes authentiques passés en Belgique, depuis la constitution de la personne morale jusqu’à la dernière modification des statuts, sont conservées dans la “base de données des mandats”. Cette base de données fait aussi partie du dossier de la personne morale et peut être consultée via la base de données des statuts mentionnée plus haut. La base de données des mandats sera actualisée (i) lors de la prochaine modification des statuts par acte authentique après le 1er août 2021 pour les entités juridiques existantes et (ii) lors de la constitution d'une nouvelle entité juridique, par acte authentique ou lors de la modification d'une clause de représentation externe par acte authentique.

L’objectif de la base de données des mandats est de faciliter la consultation par des tiers des pouvoirs de représentation des personnes morales. 

L’obligation d’inscription des règles statutaires de représentation dans la base de données des mandats vaut en principe pour toutes les formes légales, bien qu’elle soit dans un premier temps limitée aux règles de représentation reprises dans des actes de constitution et de modification authentiques. Cela concerne toutes les règles de représentation statutaires des administrateurs, des délégués à la gestion journalière, des liquidateurs, des membres du conseil de direction et des membres du conseil de surveillance, par exemple.

On distingue trois types de règles de représentation : la règle générique (par ex., tous les administrateurs), la règle fonctionnelle (par ex., l’administrateur délégué) et la règle nominative (par ex., l’administrateur X). 

Seuls les règles de représentation opposables aux tiers doivent être mentionnés dans la base de données, les restrictions quantitatives ou qualitatives de pouvoir ne sont donc pas concernées.

Signature électronique

En conséquence de la numérisation, de plus en plus de documents et de contrats sont signés par voie électronique, y compris dans les sociétés. Aujourd’hui, de nombreux procès-verbaux et rapports sont ainsi signés par voie électronique.

Il existe différents types de signatures électroniques que l’on peut utiliser, en fonction du type de document à signer.

  • Signature électronique simple (Standard Electronic Signature – ‘SES’)

Cette signature est très simple et rapide à apposer, mais présente moins de sécurité que les deux autres types de signature électronique parce qu’elle ne peut pas être clairement attribuée à une personne.

Exemple : code pin ou mot de passe, signature scannée, cochage d’une case “je donne mon accord”

  • Signature électronique avancée (Advanced Electronic Signature – ‘AES’)

Une AES nécessite des étapes supplémentaires pour l’authentification de l’utilisateur : il est demandé au signataire de présenter un document valide pour confirmer son identité, tout comme un code d’accès unique après le processus de signature.

Les signatures électroniques avancées requièrent également qu’un certificat numérique soit généré et joint à l’enveloppe numérique en tant qu’élément de la signature.

Exemple : DocuSign, Adobe Sign, SignHere

  • Signature électronique qualifiée (Qualified Electronic Signature – ‘QES’)

Une QES constitue l’identification la plus complète et doit satisfaire aux spécifications définies d’une autorité. Ce type de signature est équivalent à une signature manuscrite, réalisée à l’aide d’un stylo. 

Exemple : Itsme

De plus amples informations sur les signatures électroniques sont disponibles dans notre précédente contribution.

Communication par e-mail

Traditionnellement, la communication entre la société et ses actionnaires se faisait par courrier ordinaire ou recommandé. Aujourd’hui, il est possible d’avoir recours à la communication électronique. Tant les actionnaires que les administrateurs peuvent indiquer une adresse e-mail à laquelle toutes les communications au sujet de la société doivent leur être envoyées

La société elle-même peut mentionner une adresse e-mail dans ses statuts, à laquelle toutes les parties prenantes peuvent la contacter valablement. 

Cela signifie par exemple que les convocations à une assemblée générale peuvent désormais être envoyées par e-mail. Elles sont toutefois toujours envoyées par courrier ordinaire/recommandé aux personnes pour lesquelles la société ne dispose pas d’une adresse e-mail, et ce le même jour que les convocations électroniques. 

Assemblée générale et conseil d’administration électroniques

Conformément au Code des sociétés et des associations, l’organe d’administration peut offrir aux détenteurs de titres (actions, droits de souscription, certificats et obligations convertibles) la possibilité de participer à distance à l’assemblée générale via un moyen de communication électronique mis à disposition par la société (par ex., Microsoft Teams ou Zoom).  

Ce moyen de communication doit au moins permettre aux détenteurs de titres de prendre connaissance de manière directe, simultanée et continue des discussions au sein de l’assemblée et, en ce qui concerne les actionnaires, d’exercer leur droit de vote sur tous les points sur lesquels l’assemblée est appelée à se prononcer. Il doit aussi leur permettre de participer aux délibérations et de poser des questions.

Attention, les membres du bureau de l’assemblée générale doivent encore être physiquement présents sur le lieu de l’assemblée, même quand les actionnaires y participent en ligne. Une assemblée générale entièrement électronique n’est donc pas (encore) possible. 

Registre électronique des actions

Aujourd’hui, il est aussi possible de constituer un registre d’actions au format électronique. La Fédération du Notariat (FedNot) et l’Institut des Conseillers fiscaux et des Experts-comptables (ITAA) ont uni leurs forces pour créer un registre électronique et sécurisé des actions : “eStox”

Un registre électronique des actions peut être consulté en tout temps et en tout lieu. En outre, le registre ne peut pas être égaré, ce qui permet d’éviter des discussions interminables et éventuellement des poursuites judiciaires. Le risque de manipulations par des personnes mal intentionnées ainsi que le risque d’informations erronées (ou illisibles) sont également sensiblement réduits. 

La discrétion est aussi assurée : seuls le notaire, l’expert-comptable certifié ou le conseiller fiscal choisis par la société ont pleinement accès au registre. Des tiers spécifiquement ajoutés (par ex., le secrétaire de la société) peuvent aussi se voir accorder des droits de lecture, quand la société le souhaite.

Publications toujours sur papier (pour le moment)

Malgré les avancées incontestables dans la numérisation du droit belge des sociétés, un aspect demeure toujours ancré dans le passé : les publications des décisions des organes de société aux Annexes du Moniteur belge (par ex., révocations et nominations, transferts de siège). Jusqu’à nouvel ordre, celles-ci se font toujours sur papier. L’original des modifications et des annonces officielles doit toujours être signé et de nombreuses pièces complémentaires doivent être déposées au format papier. Il s’agit d’un paradoxe intéressant à une époque où la numérisation est devenue la norme.

La newsletter The Field : votre mise à jour business mensuelle