article banner
Covid-19

Mesures corona et affaires sociales : des conséquences sur les droits du travailleur ?

Jeroen Bouwsma Jeroen Bouwsma

Nous sommes tous touchés d’une manière ou d’une autre par la pandémie du coronavirus. Pour beaucoup d’entre nous, elle a (eu) un impact physique direct, mais les revenus d’une bonne partie de la population ont également été touchés en raison du net recul de l’économie qui a eu un impact tant sur nos revenus que sur nos dépenses. Les autorités fédérales, régionales et locales ont tenté, via diverses mesures de soutien, de limiter et d’atténuer ces conséquences économiques et financières pour les entreprises et familles belges.

Une des principales mesures de soutien en matière d’emploi est sans aucun doute l’assouplissement du système de chômage temporaire pour cause de force majeure résultant de la pandémie du coronavirus. Le recours à ce système a toutefois quelques effets secondaires (négatifs) pour le travailleur, entre autres en ce qui concerne le pécule de vacances et la durée des vacances, la prime de fin d’année et les jours de RTT. Le gouvernement a tenté de trouver une solution à certains de ces effets secondaires. Dans cette contribution, nous analyserons ces mesures complémentaires et aborderons également la mesure de suspension du délai de préavis donné par l’employeur pendant une période de chômage temporaire pour cause de force majeure résultant de la crise du coronavirus.

Chômage temporaire pour cause de force majeure résultant de la crise du coronavirus. Récapitulatif.

Le chômage temporaire pour cause de force majeure est un système qui permet à un travailleur, dont le contrat de travail est temporairement suspendu pour cause de force majeure et qui se retrouve donc temporairement au chômage, de bénéficier d’allocations de chômage. La force majeure suppose un événement soudain et imprévisible, indépendant de la volonté des parties, qui rend temporairement et totalement impossible l’exécution du contrat de travail.

Durant la période du 13 mars 2020 au 31 août 2020 inclus, la notion de force majeure a été interprétée avec souplesse par l’Office National de l’Emploi (ONEM) et toutes les situations de chômage temporaire résultant du coronavirus ont été considérées comme des situations de chômage temporaire pour cause de force majeure. La procédure de demande de chômage temporaire a elle aussi été nettement simplifiée, tant pour les employeurs que pour les travailleurs.

Du 1er septembre 2020 au 31 décembre 2020 inclus, les secteurs et les employeurs particulièrement touchés par la crise peuvent toujours bénéficier de la procédure simplifiée. Par secteurs et employeurs particulièrement touchés par la crise, on entend :

  • soit des employeurs qui peuvent prouver qu’ils sont actifs dans un secteur encore particulièrement touché par les mesures restrictives du ministre de l’Intérieur,
  • soit des employeurs qui peuvent prouver au moins 20 % de jours de chômage temporaire pour cause de force majeure corona ou de chômage temporaire pour raisons économiques au deuxième trimestre 2020 par rapport au nombre total de jours déclarés à l’ONSS.

Pour les autres secteurs, à partir du 1er septembre 2020, les règles habituelles sont à nouveau applicables s’ils doivent avoir recours au chômage temporaire pour cause de force majeure ou pour raisons économiques (ouvriers et employés). Des mesures transitoires sont néanmoins applicables jusqu’au 31 décembre 2020 en cas de recours au régime de chômage temporaire pour raisons économiques.

Suspension du contrat de travail

Une des conditions pour qu’un travailleur puisse demander des allocations de chômage dans le cadre du chômage temporaire pour cause de force majeure est l’existence d’une situation de force majeure qui rend temporairement et totalement impossible l’exécution du contrat de travail. En d’autres termes, l’exécution du contrat de travail est suspendue en raison de la situation de force majeure (article 26 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail).

La suspension du contrat de travail a pour conséquence que le travailleur n’est temporairement plus dans l’obligation d’effectuer des prestations de travail et que l’employeur est temporairement dispensé de payer un salaire au travailleur. Mais quelles sont les conséquences de cette suspension pour cause de force majeure résultant de la crise du coronavirus sur les droits d’un travailleur liés à l’exécution du travail (jours de travail), par exemple sur le pécule de vacances et la durée des vacances, la prime de fin d’année et les jours de RTT ?

Pécule de vacances et durée des vacances, prime de fin d’année et jours de RTT

En ce qui concerne le calcul du pécule de vacances et la durée des vacances, le gouvernement a décidé d’assimiler à des jours de travail effectif les jours d’interruption de travail des travailleurs (ouvriers et employés) résultant du chômage temporaire pour cause de force majeure corona[1]. Cette assimilation n’est toutefois valable que pour la période du 1er février 2020 au 30 juin 2020 inclus. Aucune décision n’a (encore) été prise pour la période ultérieure et encore moins en ce qui concerne la question de savoir qui devra payer la facture : les employeurs ou l’État belge.

Étant donné qu’aucune disposition légale (nationale) n’instaure un droit général à la prime de fin d’année, mais que ce droit peut découler de conventions collectives de travail sectorielles, il faudra vérifier concrètement, pour chaque commission paritaire, si les périodes de chômage temporaire pour cause de force majeure sont assimilées à des jours de travail effectif pour le calcul du montant de la prime de fin d’année. Par exemple, dans la CP 302 (horeca), la période de chômage temporaire (pour cause de force majeure, raisons économiques, intempéries...) a toujours été assimilée à des jours de travail effectif pour le calcul de la prime de fin d’année. Dans la CP 226 (pour les employés du commerce international, du transport et de la logistique), ce n’est par exemple pas le cas. Mais dans la CCT du 28 avril 2020 concernant des mesures liées à la crise du coronavirus, il a été convenu que pour la période du 13 mars 2020 au 30 juin 2020 inclus, les jours de chômage temporaire pour cause de force majeure étaient assimilés à des jours de travail effectif pour le calcul de la prime de fin d’année.

L’octroi de jours de RTT (jours de réduction du temps de travail) est un dispositif qui permet de réduire le temps de travail effectif en vue de respecter la durée de travail moyenne légale telle que prévue par la commission paritaire compétente. La réglementation relative aux jours de RTT est fixée au niveau sectoriel, mais la plupart des secteurs prévoient simplement que les modalités d’application doivent être fixées au niveau de l’entreprise, par exemple dans une CCT d’entreprise ou dans le règlement de travail. Pour vérifier si les jours de chômage temporaires pour cause de force majeure (résultant en particulier de la pandémie du coronavirus) sont assimilés à des jours de travail effectif pour l’octroi de jours de RTT, il faut donc examiner non seulement les CCT sectorielles, mais aussi les accords convenus au niveau de l’entreprise. Hélas, bien trop souvent, les modalités d’application sont très imprécises, voire totalement inexistantes dans l’entreprise, ce qui peut alors générer l’incertitude tant chez le travailleur (qui risque de voir disparaître ses congés supplémentaires) que chez l’employeur (qui préférera ne pas payer de jours de RTT si ce n’est pas nécessaire).

Résiliation du contrat de travail en période de coronavirus

Si un employeur résilie le contrat de travail pendant une période où l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause de force majeure, le délai de préavis se poursuit normalement pendant la période de suspension. Cela a un impact financier : pour les jours de chômage temporaire pendant le délai de préavis, l’employeur ne doit pas payer de salaire et le travailleur reçoit une allocation de chômage payée par l’ONEM, qui est nettement moins élevée que son salaire.

Durant la période où les employeurs ont massivement eu recours à l’application assouplie du chômage temporaire pour cause de force majeure résultant de la pandémie du coronavirus, les syndicats ont reçu diverses plaintes (fondées ou non) de travailleurs en chômage temporaire dont le contrat de travail avait été résilié avec octroi d’un délai de préavis pour la raison que l’employeur pouvait alors répercuter sur l’ONEM une partie de ses coûts salariaux (pour les prestations effectuées durant la période de préavis).

Le gouvernement a par conséquent estimé qu’il fallait légiférer pour lutter contre cet abus, ce qui a donné lieu à la loi du 15 juin 2020 visant à suspendre les délais de préavis des congés donnés avant ou durant la période de suspension temporaire de l’exécution du contrat de travail pour cause de force majeure en raison de la crise du coronavirus.

Ladite loi prévoit qu’en cas de congé donné par l’employeur avant ou pendant une période de suspension de l’exécution du contrat de travail pour cause de force majeure résultant de la crise du coronavirus, le délai de préavis cesse de courir pendant cette suspension. Le délai de préavis ne (re)commence à courir qu’à partir du moment où le travailleur retourne au travail. Dans ces circonstances, le délai de préavis ne prendra fin qu’à une date postérieure à la date initialement prévue.

La nouvelle règle s’applique à tous les délais de préavis donnés par l’employeur qui sont encore en cours le 22 juin 2020.

Il y a toutefois une exception en ce qui concerne les délais de préavis entamés avant le 1er mars 2020 : ceux-ci restent soumis à la règle générale et se poursuivront donc pendant une période de suspension de l’exécution du contrat de travail pour cause de force majeure résultant de la pandémie du coronavirus.

Besoin de plus d'infos? N'hésitez pas à contacter nos experts pour un conseil sur mesure.

 

[1] Arrêté royal du 4 juin 2020 visant à assimiler les journées d’interruption de travail résultant du chômage temporaire pour cause de force majeure suite à la pandémie due au virus corona, dans le régime des vacances annuelles des travailleurs salariés, pour la période du 1er février 2020 jusqu’au 30 juin 2020 inclus